J'aimerais bien être discret parmi les populations acceptables socialement, comme les humains... mais en réalité, je ne peux nier ma peau noircie par la race qui me coule dans les veines, mes oreilles longues qui sont simplement impossibles à camoufler par mes cheveux longs qui eux, sont d'une couleur absurdement blanche. Pour me faire clairement comprendre que je suis différent des autres sur tous les points, mon reflet dans l'eau me montre deux couleurs de yeux différentes. J'ai un iris bleu et un « vert »... en fait, moi je le vois vert, bien que la majorité des gens me disent que mon œil vert est en réalité brun clair. En plus de les avoir de couleurs différentes, mes yeux me font défaut. Il ne manquait bien que cela ! Dans le futur, je crois qu'on va appeler cela... le daltonisme ?

Je suis un être à moitié humain et à moitié elfe noir. J'aurais grandement aimé ressembler davantage aux humains qu'aux elfes noirs, mais malheureusement, ce sont les traits horribles de la civilisation de ma mère qui paraissent le plus. Je suis plus petit que les autres de ma société, je dois avoir les mêmes proportions que les humains... mais avec les traits des elfes noirs. Ma peau est légèrement plus pâle que ceux de ma lignée -dont la peau est ébène- et j'ai les cheveux bouclés de mon père humain. J'aurais aimé lui ressembler plus que cela mais la nature en a décidé autrement.

Ma grande différence avec les peuples que j'idolâtre personnellement est la raison principale pour laquelle je tends à me camoufler sous des vêtements noirs et longs. Une longue cape avec un capuchon sur la tête cache ma blanche crinière et mes oreilles. Je suis beaucoup plus visible que je le souhaiterais, et on me regarde souvent d'un oeil rempli d'un mépris malsain alors que j'essaie pourtant d'être discret... À bien y penser, l'oeil des gens est peut-être attiré par le grand chevalet que j'ai pris soin d'attacher à mon sac à dos pour me déplacer d'une place à une autre plus aisément. À qui veut savoir ce qui se trouve dans ce sac : de la peinture, des pinceaux, du fusins et un rouleau de tissu et de toile pour peindre dessus. Je ne tiens aucune arme... aucune. Je n'ai pas besoin d'une lame pour peindre !

La peinture et le dessin sont mes passe-temps préférés. Cela me permet de me changer les idées, de penser à autre chose, et de me concentrer sur une action qui me permet d'exprimer mes sentiments de façon visuelle. Non seulement je passe toute ma vie à le faire, mais en plus, certains me payent pour un portrait, ou pour acheter une toile que j'ai peinte au courant de la journée. Cela me permet d'acheter d'autres matériaux, mais surtout, des vivres... parce que j'ai besoin de nourriture pour vivre, je ne suis pas un démon !

En parlant de ces monstres... Ceux-là, je ne les apprécie pas. Peur de tomber entre leurs cornes ? Oui. Je ne peux pas nier cette crainte de ces êtres machiavéliques. Semblerait-il que les idolâtrer ferait partie de notre vocation... chose que je ne peux pas comprendre. Je ne ressens pas ce fort besoin de me soumettre à ces brutes. C'est sûrement dû à mon métissage avec les humains... Bien que je ressens une certaine curiosité face à ces créatures, je les crains. Je préfère nier cette curiosité, et fuir ce qui me fait peur. J'ai d'ailleurs beaucoup de trous de mémoire sur mon passé depuis que je me suis frappé la tête, et je ne me souviens de presque rien. Ce que je connais ou ce que suis capable de le faire, en fait, je le pratique de façon mécanique ou inconsciente, comme mon talent en illustration... chose qui semble être presque innée en moi. J'ai fini par associer cela, et prendre conscience de ce talent que j'ai probablement développé par le passé.

Je n'ai pas vraiment de scrupule, et encore moins de considération. J'ai de l'orgueil, oui. Je ne peux pas le nier. En fait, c'est mon orgueil qui m'aide à passer au travers ma vie, sinon je serais déjà six pieds sous terre. Je n'ai pas une très forte volonté et encore moins un grand courage ; je cherche plutôt à me planquer et éviter d'avoir affaire à des gens plus forts que moi quand je sais que je suis plus faible qu'eux. Pourquoi essayer de les affronter si je sais que je vais me faire marcher dessus comme une vieille larve daltonienne ? Je ne suis pas masochiste, cela ne fait pas partie de mes fantasmes... Je préfère me distancer et faire ce que je fais le mieux : fuir et nier les sujets qui me font peur.

Semblerait-il que je sois né la fesse gauche dans une cité, et la fesse droite dans une forêt. Néanmoins ce n'est pas littéralement le cas. En résumé, je suis né près d'Esnia. Je connais la forêt de l'empire comme le fond de mon sac à dos. À mes souvenirs, le peuple d'elfes noirs est un peuple nomade, ce qui explique pourquoi je ne suis pas né dans une cité de façon pleinement concrète, comme la majeure partie des peuples civilisés, comme les humains. Ma mère était une elfe noire, et mon père était un humain... mais je n'ai jamais connu mon père...

J'ai probablement été élevé selon les préceptes de la tribu dont le sang coule dans mes veines ; idolâtrer ces démons, attendre avec impatience leur arrivée sur nos terres et prévoir un jour leur obéir au doigt et à l'oeil comme de parfaits esclaves. Je ne me souviens d'ailleurs pas depuis combien de temps ils sont sur nos terres ces merdeux, mais suffisamment pour que je ne me souvienne pas de leur arrivée. Je sais qu'ils sont là, je sais ce qui s'est passé puisque l'information se propage comme une pandémie, mais c'est arrivé avant mon accident... du coup je tente de refaire ma vie avec ces trucs dans les parages, en pleine conscience de ce qui se passe... Une chose est certaine ; je ne me rapprocherai pas d'eux. Je vais continuer de les fuir comme la peste ; me faire convertir pour devenir pareil comme les autres de ma civilisation, ce n'est vraiment pas dans mes plans de vie.

Mon talent en dessin vient probablement d'une passion que j'avais par le passé. J'ai encore tout le matériel de ce passé si inconnu... C'est là que j'avais développé ce talent pour en faire un passe-temps. Peut-être avais-je un autre métier avant mon accident, comme chasseur, ou armurier... mais je ne m'en souviens pas. Cela ne devait sûrement pas m'avoir suffisamment marqué pour que je ressente encore un plaisir à faire ce métier. Le dessin est décidément le meilleur passe-temps que j'ai eu de toute ma vie.

J'étais sûrement parti seul de mon côté ce jour-là, pour chasser ou rechercher un beau paysage à peindre. J'étais clairement seul. M'étant fait prendre dans une tempête, au dépourvu, je recherchais probablement une place où m'abriter pour ne pas ruiner mon matériel de peinture, et c'est là que ça s'est passé.

Mon accident est arrivé sur les terres d'Esnia, dans une forêt tranquille et paisible puisque personne ne m'a retrouvé. Je me suis réveillé au sol, la tronche dans l'herbe près d'une roche, la majeure partie du contenu de mon sac à dos étendu au sol et mon chevalet sur le dos.  Tout portait à croire que je m'étais bêtement pris les pieds sur une racine et que ma tête avait frappé une roche. Une migraine me martelait la tête, et l'herbe encore trempe sous mon corps me faisait comprendre que j'avais possiblement tombé quelques heures auparavant seulement alors qu'il tombait de la pluie.

Je me souviendrai toujours de mes premiers souvenirs de ma vie... parce que oui, à partir de cet instant, je ne me souvenais de rien de mon passé. Les mentions précisées plus haut sur ce qui s'est passé dans les trente-quatre ans et demi passés ne sont que des déductions que j'ai fait avec les semaines à faire mijoter ma logique et mes constatations. Cela fait maintenant quelques semaines, et le cours de ma vie a repris après cet incident. Un cours peut-être pas comme ma vie auparavant, mais comme je veux la concevoir en ce moment.

J'ai donc appris à fuir l'inconnu. Ne me souvenant de rien, je fuyais tout, dont les démons. Je refusais de leur prêter assistance, allégeance, fidélité, ou tout ce qui se rapprochait d'eux. J'ai appris à fuir les grands animaux et chasser les petits. Je me suis adapté en société, lentement, mais sûrement. Passant pour un rôdeur, je suis souvent assis sur la place publique des villes et villages d'Esnia pour dessiner : soit les bâtiments des différentes cités, soit faire le portrait de personnes qui me payent pour. Les nobles ne m'aiment pas toujours, certains paysans me craignent ou montrent un dédain certain envers moi. Pour ma part, j'essaie de me camoufler, et de fuir ce genre de regard.

Me balader dans la forêt pour dessiner, chasser, ou simplement fuir, c'est mon quotidien en dehors de la ville. On me surnomme le solitaire à cause de ce trait de caractère. Je ne sais jamais quoi penser des gens, et j'ai peur de faire confiance à la mauvaise personne. Je fuis les situations que je n'aime pas, je fuis les situations où je ne sais pas comment réagir, et surtout, je fuis les gens qui me recherchent... pour la simple raison que je ne comprend pas pourquoi je devrais les affronter. La liberté de dessiner comme je  veux en ville, c'est un plaisir que je ne saurais pas me passer... mais malheureusement pour moi, je ne peux pas dire combien de temps cette fausse impression de liberté restera. Tant que je ne me ferai pas retrouver par les démons ou les miens, je continuerai de fuir.

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